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croyoit qu’ils le ſeroient. Ce n’eſt pas que les peuples euſſent à ſe plaindre de la négligence ou de la dureté de leurs conducteurs. Une indifférence ſi extraordinaire venoit, ſans doute, de l’ennui que ces Américains, en apparence ſi heureux, devoient éprouver durant le cours d’une vie trop uniforme pour n’être pas languiſſante, & ſous un régime qui, conſidéré dans ſon vrai point de vue, reſſembloit plutôt à une communauté religieuſe qu’à une inſtitution politique.

Comment un peuple entier vivoit-il ſans répugnance ſous la contrainte d’une loi auſtère, qui n’aſſujettit pas un petit nombre d’hommes qui l’ont embraſſée par enthouſiame & par les motifs les plus ſublimes, ſans leur inſpirer de la mélancolie & ſans aigrir leur humeur ? Les Guaranis étoient des eſpèces de moines, & il n’y a pas peut-être un moine qui n’ait quelquefois déteſté ſon habit. Les devoirs étoient tyranniques. Aucune faute n’échappoit au châtiment. L’ordre commandoit au milieu des plaiſirs. Le Guaranis, inſpecté juſque dans ſes amuſemens, ne pouvoit ſe livrer à aucune ſorte d’excès. Le tumulte & la licence étoient bannis de ſes triſtes fêtes.