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qu’on ne dégoûteroit jamais des horreurs de la guerre des peuples qui, tandis que toutes les cruautés, toutes les dévaſtations poſſibles s’exerçoient ſans ſcrupule & ſans remords ſur le théâtre des diſcordes, trouvoient encore dans leurs paiſibles foyers qu’il n’y avoit pas aſſez de ſièges, aſſez de batailles, aſſez de cataſtrophes pour ſatiſfaire leur curioſité, pour amuſer leur oiſiveté. Je penſai qu’il n’y avoit rien de raiſonnable & d’humain à ſe promettre d’un troupeau de bouchers ſubalternes qui, loin de s’abandonner au déſeſpoir, de s’arracher les cheveux, de ſe déteſter & de verſer de ruiſſeaux de larmes à l’aſpect d’une vaſte plaine, ſemée de membres déchirés, la traverſaient d’un air triomphant, trempant leurs pieds dans le ſang, marchant ſur les cadavres de leurs amis, de leurs ennemis, & mêlant des chants d’allégreſſe aux accens plaintifs des moribonds. Il me ſembla que j’entendois le diſcours d’un de ces tigres qui, mêlant la flatterie à la férocité, diſoit à un monarque conſterné à l’aſpect d’un champ de bataille jonché de membres déchirés, palpitans & encore chauds : Seigneur, ce n’eſt pas nous ; ce ſont ceux-là