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cet aſſerviſſement, les rois y ont trouvé d’autant plus de facilité, qu’il a toujours été coloré d’un prétexte de police ou même de ſoulagement. L’antipathie que produit une exceſſive inégalité des conditions & des fortunes, a favorisé tous les projets qui devoient agrandir l’autorité royale. Les princes ont eu la politique d’occuper la nation, tantôt de guerres au-dehors, tantôt de diſputes religieuſes au-dedans ; de laiſſer diviſer les eſprits par les opinions, & les cœurs par les intérêts, de ſemer & d’entretenir des rivalités entre les divers ordres de l’état ; de careſſer tour-à-tour chaque ambition, par une apparence de faveur, & de conſoler l’envie naturelle du peuple par l’humiliation de toutes. La multitude, pauvre, dédaignée, en voyant ſucceſſivement abattre tous les corps puiſſans, a du-moins aimé dans le monarque l’ennemi de ſes ennemis.

La nation déchue par ſon inadvertance du privilège de ſe gouverner, n’a pas cependant encore ſubi tous les outrages du deſpotiſme. C’eſt que la perte de ſa liberté n’eſt pas l’ouvrage d’une révolution orageuſe & ſubite, mais de la lime de pluſieurs ſiècles.