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Comment ce personnage, dont tout le talent consistait à étaler avec un balai la grosse blague de ses inventions, serait-il devenu brusquement si habile qu’il va, pour décrire sa conversion, parler comme un cœur sincère ? Aujourd’hui encore, si l’on sent bien dans les Confessions d’un ex-Libre Penseur des dissimulations et des arrangements, il y a cinq, six endroits où l’on se dit : il n’est pas possible que cet homme mente !

Il ouvre son volume par deux citations : l’une de Michelet, sur la nostalgie de la foi, l’autre de Lacordaire, le beau passage où le grand dominicain dépeint un homme perdu de crimes et que sauve la larme du repentir ; comme l’un et l’autre s’appliquent exactement à Taxil !

Mauvais écrivain, quand il raconte sa vie, il n’échappe pas à la vantardise, et il s’applique au ton cafard. Il manie le vocabulaire catholique comme s’il ne s’était jamais servi d’un autre. Couplets pieux sur ses anciens maîtres, sur sa première communion, sur ses égarements. Cela ne prouve rien ni pour, ni contre sa sincérité du moment.

S’il veut faire frémir ses bons lecteurs en leur racontant une communion sacrilège, dramatiquement mise en scène, ou en citant avec complaisance un poème de révolte écrit à Mettray, c’est qu’il ne veut rien perdre de son passé. Même réellement converti, Taxil n’est pas détaché de la vanité mondaine. À vérifier ses anecdotes, je pense qu’on en trouverait de fausses : une foi réelle même ne lui eut pas fait perdre si vite ses habitudes de conteur qui enjolive tout ce qu’il dit.

Nous le voyons dénoncer lui-même les procédés calomnieux qu’il employait pour écrire ses livres ; en même temps, il dénonce les camarades ; il explique comment la presse anticléricale est toujours prête à accueillir n’importe quelle calomnie, dès qu’elle est dirigée contre le clergé ; il nous raconte qu’il y a, dans ce qu’il appelle « les ouvriers de la besogne impie », des mystificateurs, qui mentent par plaisir !

« C’est en se moquant du public pour lequel ils écrivaient, ose-t-il énoncer en propres termes, que mes collaborateurs travaillaient à ces mystifications effrontées qui étaient intitulées : Le Secret de Tropmann, Marat ou le Héros de la Révolution, Les Amours secrètes de Pie IX, Histoire scandaleuse des d’Orléans, etc., etc. »

« Qu’allons-nous raconter au bon peuple dans notre prochaine livraison, se demandait-on quotidiennement. Et l’on imaginait les aventures les plus extraordinaires. » Il donne quelques exemples des bourdes que l’on énonçait imperturbablement, et il ajoute que leurs inventeurs concluaient : « Allons, la bêtise humaine n’a pas de limites ! »

Est-ce par sympathie pour lui-même qu’il montre parmi ces virtuoses de la mystification ce qu’il nomme « des menteurs sincères ? ». « Ceux-là sont des exaltés du plus haut degré. C’est avec une gravité étonnante qu’ils affirment les faits les plus insensés, lesquels n’ont jamais existé que dans leur cervelle ; mais ils ne les croient pas moins vrais, ils en sont sûrs, et cela de très bonne foi… » C’est assez cocasse qu’il les dépeigne si exactement et ne s’y reconnaisse pas… Il se classait parmi les mystificateurs conscients.

Tous ces aveux, si compromettants qu’ils fussent, car enfin ils ne pouvaient être repris, n’étaient-ils que le prix de la confiance que Taxil entendait acheter des catholiques ?

Il reste autre chose. Telle note émouvante sur les anciens prêtres tombés dans l’anticléricalisme : « J’en ai connu quelques-uns… J’ai été le confident de leurs souffrances… Ils sont beaucoup à plaindre… Ils sont les plus malheureux des hommes. Si, au lieu d’être un indigne, j’étais un saint Vincent de Paul, je créerais une œuvre pour faciliter le retour de ces infortunés coupables. La tâche serait plus facile qu’on ne croit… » Cela va trop loin pour être inventé. Nous ne sommes pas ici dans le conventionnel clérical ; il y a l’accent d’un homme qui a vu.

Tel autre passage, à propos de la directrice d’un pensionnat où l’athéisme est enseigné aux jeunes filles. Taxil, en déplorant l’aveuglement de cette directrice, ne craint pas de dire qu’elle est le dévouement incarné. Un comédien se serait-il permis cette franchise ?

Enfin, ce qui serait suprêmement odieux s’il n’y avait là rien de vrai (et nous devons reconnaître que c’est possible !) c’est le chapitre XII, où Taxil raconte que Joséphine Jogand, sœur de son père et sa marraine, ne cessait de prier pour sa conversion. Quand il entreprit sa campagne contre Pie IX, Joséphine Jogand, ou la prétendue Joséphine Jogand, prit une résolution héroïque :

— Puisque mes prières ne suffisent pas, dit-elle, je me sacrifierai tout entière.

Elle donna ses biens aux pauvres et entra au couvent de N.-D. de la Réparation, à Lyon, sous le nom de sœur Marie des Sept Douleurs. « Son sacrifice fut tel, dit Taxil, que je ne puis l’exposer dans toute sa splendeur, elle vivante. J’ai à compter avec l’humilité de cette sainte fille, qui éprouverait du chagrin si je divulguais aujourd’hui les délicatesses de son abnégation… Ah ! soyez mille fois bénie, vous qui vous êtes offerte en holocauste au Seigneur pour l’expiation de mes crimes… »

Ou cette histoire est inventée de toutes pièces, et tout l’échafaudage de Taxil pouvait sombrer devant la démonstration rapide d’un tel mensonge ; ou elle est vraie. Taxil avait assez d’audace pour l’imaginer, mais si elle est vraie, comme cela tout de même reste probable, que penser du monsieur qui ose, sur le sacrifice de sa tante et marraine, dresser le tréteau de sa comédie. Allons, il faut dire qu’elle n’est pas vraie, ou que Taxil un seul instant fut sincère. La canaillerie, l’impudence et la légèreté ont des bornes.

Il est assez frappant que le marseillais Taxil, montant une galéjade religieuse, n’ait pas donné un rôle à la « Bonne Mère », N.-D. de la Garde. Il y a là, ou du respect pour une ancienne piété que l’on réserve, ou de la sincérité.

IX. — Les étapes d’une conversion

Nous avons dit comment Taxil, rayé de la Maçonnerie, avait éprouvé quelque amertume quand la presse républicaine ne craignit pas de le blâmer à propos des poursuites exercées contre ses élucubrations sur Pie IX. Taxil était si peu disposé à se rendre qu’à ces poursuites, il organise une riposte. La Lanterne l’a énergiquement défendu, et sans réserves. À partir du 22 avril 1885, elle offre en prime gratuite à ses abonnés l’ouvrage de Taxil : Pie IX devant l’histoire, trois volumes, et elle continue pendant plusieurs mois cette propagande.

C’est presque à cette date même que Taxil fixe son retour à la foi : 23 avril 1885.

À l’entendre, il travaillait à son ouvrage sur Jeanne d’Arc, dont la publication en livraisons était commencée. Dans cet ouvrage, La Vérité sur Jeanne d’Arc, Taxil annonçait qu’il ferait la lumière sur le double crime commis par le clergé, qui avait non seulement assassiné, mais aussi profané « la sublime patriote plébéienne ». Deux livraisons chaque semaine à deux sous révélaient ces effroyables forfaits dont « les preuves indéniables existent », ne manquait pas de jurer Taxil,

Son travail était une compilation des procès, avec ablation de ce qui le gênait. Pour un Taxil, cette besogne n’était pas plus dégoûtante qu’une autre. Il advint qu’elle lui répugna, dit-il, et qu’il eut à ce propos une conscience plus vive de sa mauvaise foi, — une mauvaise foi qu’il nous expose et avoue ingénument. Le 23 avril, après avoir écrit un article pour répondre aux confrères qui avaient blâmé son livre sur Pie IX, il reprend sa Jeanne d’Arc arrangée ; brusquement il éprouve une secousse, Le surnaturel, patent dans l’histoire de Jeanne, le subjugua ; il se met à genoux, il pleure et il prie.

Le lendemain 24 avril, il écrit à un vieil ami, catholique marseillais, pour lui annoncer sa conversion.

Le même jour, il entre à Saint-Merri pour se confesser. Il s’agit d’un « cas réservé », et le prêtre le prie de revenir.