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TROIS PARMI LES AUTRES

ligués contre les préjugés du village. Ils sortaient souvent ensemble pour promener les chiens. En chemin, on ramassait des prunes tombées dans l’herbe : « Si c’est un péché, je le prends sur moi, » disait le curé, et de rire.

Plus loin, devant un néflier : « Savez-vous comment on appelle les nèfles ici ? des culs-de-singe. »

Suzon pensait qu’il y avait loin de ce mousquetaire sacerdotal, d’une étoffe si fruste et si candide, à son cher abbé de Choisy. Elle regrettait un peu qu’il n’y eût pas moyen d’établir entre eux un lien quelconque. Cependant, par des manœuvres subtiles, elle arrivait à ce que l’abbé Graslin la distinguât des autres. Exagérant sa gaminerie, jetant çà et là une remarque naïvement drôle, elle cachait sous le masque de l’enfance son charme féminin. L’abbé, sans défiance, l’appela bientôt sa petite Suzon. Il s’extasiait : « Ce qu’elle est rigolotte ! ah, cette petite Suzon ! » Le soir où Antoinette constata, comme elles rentraient chez elles : « Il n’y a pas à dire, Suzon est la chouchoute du curé, » la jeune fille haussa les épaules, et laissa descendre ses paupières sur un secret triomphe.

Vers la fin de juillet, l’abbé Graslin dut s’absenter pour quelques jours. Suzon réclama la faveur de s’occuper des chiens qui restaient enfermés dans le jardin de la cure. Le matin où elle descendit la côte pierreuse de Gagny, entourée des bêtes bondissantes, elle éprouvait au creux des genoux un prodigieux fourmillement de plaisir.

Seule ! Annonciade repassait ses blouses, An-