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TROIS PARMI LES AUTRES

Antoinette sent une petite colère lui chauffer les joues. Elle n’avait jamais pu supporter la sournoiserie ricanante des adolescentes bien informées. Au lycée, déjà, elle serrait les poings lorsqu’elle surprenait les échanges de regards et de coups de coude qui soulignaient les allusions les plus lointaines, dans la classe des quatorze à quinze ans. Par exemple, quand on lisait Esther :

C’est Aman.
C’est lui-même et j’en frémis, ma sœur…

Son agacement se traduisit par une sécheresse involontaire :

— Je ne vois pas ce qu’il y a de drôle là dedans. J’ai remarqué en effet que tu as pris un air assez imbécile, à ce moment-là. Ce n’est vraiment pas la peine d’être une fille intelligente pour se conduire comme un collégien.

— C’est vrai, je voulais justement te le dire, appuie Annonciade. Tu avais l’air de pouffer, c’était parfaitement ridicule. Heureusement que le curé n’a rien vu.

Suzon les regarde l’une après l’autre d’un air de défi. Elle a rougi et sa bouche tremble :

— Heureusement que le curé n’a rien vu, répète-t-elle en se moquant. Le curé par-ci, le curé par-là ! Il vous occupe joliment, le beau curé. Est-ce que vous avez l’intention de vous le partager ?

— Par exemple ! souffle Annonciade, suffoquée. C’est dégoûtant ce que tu dis là, tu sais.

La petite hausse les épaules. Antoinette, pleine d’angoisse, mesure la fragilité de leur paix à trois. Les paroles de Suzon viennent d’empoisonner l’atmosphère. Est-ce que, même dans cette re-