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TROIS PARMI LES AUTRES

Elle dédia un regard de gratitude au coteau bleu de vignes, au ciel lointain, tout doré.

Annonciade s’extasiait sur la beauté des yeux de l’épagneule. Elle aimait les chiens à en déraisonner.

— Avoir une bête comme ça, disait-elle, c’est le bonheur !

— Avez-vous entendu, remarqua Suzon, comme il parlait à sa chienne ? Tout à fait comme à une femme…

L’entrée des jeunes filles dans la cour de la ferme provoqua une grande panique de volailles. Sur le toit brun, les pintades menaient un vacarme hystérique. Les pigeons rentraient au gîte en froissant l’air. Tant de bruits d’ailes, les reflets métalliques du plumage des canards, le bleu moisi et l’écarlate des dindons, environnaient cette grande maison flanquée d’une tour d’une abondance royale.

Royale était la fermière, qui possédait maison de ville et maison des champs et traitait les chanoines à sa table. Un bourrelet de cheveux châtains la coiffait comme feu l’impératrice de Russie et sa haute, robuste carcasse eût avantageusement figuré à un sacre. Elle n’avait pas son pareil pour délivrer une vache, faisait manœuvrer ses fils et ses valets d’un seul regard de ses yeux bleus inexorables et parlait toujours d’un ton doux en arrondissant la bouche le plus possible pour flûter les sons.

Elle fit mine de ne pas voir la timbale que Suzon balançait au bout de son bras et s’avança de trois pas à la rencontre des jeunes filles avec une dignité affable, indiquant par là qu’elle interprétait