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TROIS PARMI LES AUTRES

joie presque insoutenable, leur amour augmenté de tout l’amour de la terre, à travers le geste maternel d’un crapaud… Est-ce le même ? Est-ce le même ?

Un pas traînant et précipité racle le gravier de l’allée. Antoinette se retourne. Garrottin accourt, essoufflé.

Il a bien vieilli. Il ressemble à sa femme, maintenant, par ce second visage que vous font les rides et le racornissement de la chair. Mais il a toujours un bon regard dans ses prunelles presque décolorées :

— Mam’zelle Antoinette ! Ah ! Mam’zelle Antoinette… C’te mère Garrottin. elle a jamais fini de me faire courir ! Elle m’appelle ici et vous êtes là. Ça fait rien, je vous trouve. Vous v’là donc revenue à la fin des fins. J’croyais que vous y vouliez du mal, à ce pauv’ Gagny.

— C’est vrai, Garrottin, j’aurais dû revenir plus souvent. Mais que voulez-vous !…

— Bien sûr, bien sûr…

Garrottin hoche la tête pour montrer qu’il comprend les raisons d’Antoinette. Il est sur le point de lui demander des nouvelles de son père, mais il se ravise. C’est étonnant comme la société des légumes vous affine le tact.

— Et Mam’zelle Antoinette a vu le potager ? J’ai continué à planter tous les légumes, comme avant et aussi les fraises de tous les mois. Y a même une planche de raifort, Mam’zelle a vu ? Madame l’aimait tant, c’te sauce ravigote…

Antoinette se dit que le militaire de Dijon pourrait bien, lui aussi, être un amateur de sauce ravigote et que si Garrottin sème tous les ans une