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TROIS PARMI LES AUTRES

dans une douce et profonde communion vespérale. Et puis c’étaient de longs entretiens avec le jardinier sur les mérites comparés de telle ou telle variété de fraise ou de haricot (l’une tenait pour les « gris maraîcher », l’autre pour les « beurre »). Garrottin vantait ses légumes avec un orgueil de propriétaire gourmand. Lui aussi disait : « Mes cardons, mes laitues, ma gotte lente à monter. » On se gardait bien de lui contester ce possessif, qui était l’âme de son métier.

Voici le soir revenu : Antoinette est seule à pousser la barrière du potager.

Des feuilles tombées voguent sur l’eau rouillée de la citerne, où patinent les araignées d’eau. Les carrés de légumes, fraîchement arrosés, brillent d’un éclat nourricier. Rien n’est changé. Mais il manque la tiédeur d’un bras vivant.

Un crapaud s’enfuit avec une hâte lourde, maladroit comme un homme qui court à quatre pattes. Antoinette le regarde, suffoquée d’émotion : est-ce le même ?

Combien d’années se sont-elles écoulées depuis ce soir lointain où elles ont vu la mère crapaud qui escaladait gauchement les mottes, portant son petit sur son dos ? Elles avaient suivi sa course embarrassée avec un grand désir de l’aider. « Tu vois, disait la voix inoubliable, tu vois comme elle l’aime, son petit. » Puis, en revenant, elle avait dit gaiement : « À ton tour ! Saute sur mon dos, petit crapaud ! » Et Antoinette avait parcouru le jardin, criant de joie, cramponnée aux épaules maternelles.

Cette harmonie de ce soir-là, cette harmonie puissante comme le monde, cette vibration de