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TROIS PARMI LES AUTRES

part des pommiers, rongés par la gomme, ne portent plus que des branches dépouillées, vêtues de lichen. Penché sur la mare qui servait jadis d’abreuvoir à un poulain caracolant, un saule excessivement pleureur trempe ses branches dans l’eau verte où de longs filaments de moisissure imitent le frai printanier des grenouilles.

— C’est on ne peut plus romance, ce parc et ce verger, déclare en riant Suzon, dont la voix arrache brusquement Antoinette à son vagabondage somnambulique.

Malgré qu’elle se moque, Suzon est troublée par une émotion subtile. L’aspect de ces lieux et les mots eux-mêmes, les mots « parc », « verger », « romance », rejoignent dans son esprit, par on ne sait quelles voies, le souvenir de l’auto bleue.

— Vrai, j’aime ton pays, Antoinette. Regardez-moi cette colline inspirée, si elle a de l’allure !

Face au coteau de Gagny, et dominant comme lui d’une faible altitude la vallée où courent parallèlement la route, le canal et la voie du chemin de fer, une longue échine boisée se profile sur la gloire rouge du couchant. Le contre-jour lui donne un relief illusoire ; elle paraît haute, agressive, vêtue d’une sombre forêt et la masse noire de la tour féodale qui la couronne prend une puissance expressive sur ce ciel de Jacquerie. Mais, à mi-hauteur, les toits de tuiles d’un petit village et les ardoises d’un château gris ont un air de paix bocagère.

— Comment s’appelle ce pays ?

— En haut, la tour abandonnée, c’est Grignolles. En bas, le petit village autour du château Louis XIII, c’est Frangy.