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TROIS PARMI LES AUTRES

avec rancune. Quel trou, bon Dieu, quel trou !

Elle a l’air d’accuser leur amie de les avoir amenées ici par surprise. Annonciade se tait, blessée. Il lui est toujours pénible de constater qu’elle ne s’entend pas avec sa sœur. Pourtant, elles s’aiment bien… D’où vient qu’elles se heurtent à chaque instant ?

Suzon, à petits pas ennuyés, fait le tour de la place. Au coin de la première rue, devant une pharmacie, il y a une auto arrêtée, une longue Bugatti bleue, aux coussins de cuir rouge, basse, taillée en obus, voiture de grande race, nourrie de vitesse, d’odeurs fuyantes, de villages traversés dans des paniques de volailles… « Voilà ce qu’il me faudrait, » se dit la petite.

Comme elle s’approche de la voiture, un bouledogue blanc se dresse sur les coussins et lui oppose son mufle carré, aux babines molles et tremblantes de rage. Un collier de crin d’un blanc plus mat que sa peau presque rose, lui met une fraise de Pierrot Watteau, mais il ressemble plutôt à la lune, devenue subitement enragée, avec deux petites oreilles droites comme des cornes, agressives en diable. Suzon lui dit qu’il est un beau chien, il en râle de fureur — à tel point que trois têtes inquiètes viennent s’appliquer aux vitres de la pharmacie : le pharmacien, son commis et le client dont le visage brun est éclairé par un rire de dix-huit ans.

Le client a vu Suzon. Il éprouve aussitôt le besoin d’aller calmer son chien.

— Eh bien, Siki, qu’est-ce que c’est que ces manières ? Voulez-vous vous taire, monsieur ?

Et puis, comme s’il voulait se faire pardonner