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TROIS PARMI LES AUTRES

essayant de ne plus penser. Mais alors elle se représenta avec force son dénuement. Elle avait tout perdu en même temps : amitié, amour, foyer et jusqu’à son orgueil. Il lui semblait qu’il y avait une corrélation entre ces malheurs, mais elle n’arrivait pas à trouver laquelle. Si elle découvrait le nœud ce serait quelque chose de gagné. Mais ce nœud existait-il ?

Pensées, impressions, contradictions se succédaient, vertigineuse sarabande. Bientôt elle ne fut plus qu’une plaque sensible vers laquelle affluaient d’innombrables sensations cérébrales, toutes émises par la notion de la souffrance universelle. Puis cette notion se précisa en se limitant à la souffrance féminine. Elle tremblait de douleur et de rage en songeant aux filles abandonnées, aux femmes brutalisées, aux amoureuses déçues, au fardeau bestial des primitives, aux tourments des raffinées, et, pensée plus affligeante encore, à la pauvreté morale de certaines, Olga et ses pareilles, celles qui vengent leurs sœurs par les moyens les plus bas et justifient la haine des hommes clairvoyants.

La triste féminité pleurait en elle sur son destin inexorable. De tous les points de l’espace, des voix criaient vers elle, qui entendait la voix de sa propre peine parmi ce tumulte et qui se tordait d’impuissance, les oreilles bourdonnantes, la nuque gonflée par les vagues précipitées de son sang. Il lui semblait que ses artères allaient se rompre et qu’alors l’émeute invisible, ayant brisé ses frontières, emplirait la chambre, la maison, le monde entier. Nul ne pourrait entendre son cri sans mourir d’épouvante.

Antoinette se dressa et dit tout haut :