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TROIS PARMI LES AUTRES

dans les bras de Bertrand. Car le souvenir de certaine scène dont une route morvandelle avait été le théâtre, depuis longtemps ne la gênait plus. Transformé, adouci et magnifié par une rapide maturation, il la poussait, au contraire, vers un achèvement auquel il prêtait ses traits illusoires. Et Bertrand, qui n’avait fait aucun plan de campagne, qui pensait simplement qu’on allait bien s’amuser, se réjouissait cependant de l’agréable certitude qu’il entrevoyait au bout de ces amusements.

— Au revoir, ma vieille, dit Suzon en se baissant une dernière fois pour embrasser Antoinette. Nous te devons des vacances merveilleuses. J’espère que les choses vont s’arranger pour toi. Donne-nous des nouvelles.

Antoinette groupait toutes ses forces pour le moment qui approchait, où elle serrerait définitivement la main de Robert et où il lui faudrait dire, d’une voix naturelle :

— Au revoir, Robert, à bientôt.

Il retint cette main juste le temps convenable, avec, une pression amicale. Elle n’eut pas le courage de se priver de son dernier regard, un regard d’homme qui a réfléchi et qui renonce mélancoliquement à escompter l’avenir.

Il y a aussi le dernier regard d’Annonciade, qui demande pardon d’emporter le bonheur de son amie…

Le ronronnement décroissant des voitures, de plus en plus aigu à mesure qu’il s’affaiblissait, traversa le cœur de la jeune fille comme un glaive lentement appuyé. Moïse la regardait en gémissant.