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TROIS PARMI LES AUTRES

— Oh ! Oh ! Oh ! fit Suzon, avec une indignation chromatique.

Elle était suffoquée par cette volte-face. Un instant avant, l’accord parfait, les phrases tendres et joueuses. Maintenant, les insultes. Oubliant son propre rôle, vaincue par le sentiment d’une énorme injustice, elle se mit à pleurer.

— Allons, bon ! se dit Bertrand, au comble de la fureur.

Il alla s’asseoir dans la voiture, tournant le dos à la jeune fille. Tout en sifflotant, il examinait les commandes, vérifiait les jauges d’huile et d’essence.

(Quand elle en aura assez, elle s’arrêtera.)

Machinalement, il avait appuyé sur le bouton du démarrage électrique. Le moteur frémit. Suzon bondit vers lui, ne pensant plus qu’à la terreur de rester seule dans ce désert végétal où rampaient des souffles.

— Soyez tranquille, persifla Bertrand, je n’ai pas l’intention de partir sans mon chien.

Comme elle ne répondait rien, s’asseyait à côté de lui en se tamponnant les yeux avec son petit mouchoir, il se trouva vexé de son insolence inutile. Le pauvre Siki en fit les frais : deux claques lui apprirent qu’il ne convenait pas aux chiens de chercher du plaisir sur les routes.

Durant tout le trajet de retour, ils n’échangèrent pas un mot. Bertrand conduisait à une allure folle. Cela ressemblait à une vengeance.

« Nous allons nous tuer, » pensait Suzon. À un tournant, elle sentit nettement les roues extérieures au virage décoller de la route, mais son orgueil tendu l’empêcha de crier.