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TROIS PARMI LES AUTRES

du regard d’Annonciade. Il ne lui avait pas fallu longtemps pour comprendre quel petit animal farouche et tendre elle était. Surveillant sa physionomie, sa voix et jusqu’à son souffle, il éprouvait un bonheur puissant et contenu, une passion d’oiseleur, à la voir s’apprivoiser, venir à lui à petits pas. Il ne lui voulait que du bien, pensait-il, mais il voulait qu’elle vînt et posât son front sur ses paumes avec une soumission confiante.

Annonciade, heureuse, cédait avec lenteur à l’appel irrésistible. Vers la fin de la soirée, elle se dit : « Il ne ressemble pas aux autres hommes Il est pour moi comme un grand frère, » et se refusa de toute sa volonté à entendre l’éclat de rire qui lui répondit, dans ces profondeurs de l’âme qu’il est impossible de situer, mais dont la science mystérieuse nous domine si terriblement.

Ils avaient dîné sous le grand arbre, tandis que le gravier devenait blême et qu’une même syncope décolorait le bleu du ciel. Les odeurs de la terre et des plantes, chaudes et sèches, se pénétraient lentement d’humidité, adhéraient aux sens. La peine d’Antoinette en était tout adoucie, diluée dans un attendrissement vague, comme après boire. Elle aurait voulu que tout le monde fût heureux. André, dont les regards appuyés et l’empressement excessif l’agaçaient tout à l’heure, elle souhaitait de lui trouver une femme qui le comblât — une autre qu’elle-même, par exemple. Elle se promit de le guérir, — c’était vraiment une maladie, il avait l’air de souffrir, — de l’amener à cette fraternité légère, grisante et pure comme l’eau de montagne, qu’elle retrouvait avec délices auprès de Bertrand. Ce garne-