Page:Ratel - Trois parmi les autres, 1946.djvu/166

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
156
TROIS PARMI LES AUTRES

à la lettre les idées d’Antoinette, qui formule des opinions définitives sur toutes choses : sur la jeune fille, sur le mariage, sur l’amour…

— J’aimerais connaître ces opinions expérimentées, insinua Robert, ironiquement.

— Expérimentées ? Mais certainement. Antoinette pourrait vous entretenir toute une journée de l’expérience des jeunes filles et finirait par vous démontrer qu’une ingénue en sait plus long qu’un quarteron de matrones, que la jeune fille, enfin, ça n’est qu’une expression zoologique…

— Charmant ! On ne doit pas s’embêter avec cette oratrice.

— Je vous crois, qu’on ne s’embête pas. Si vous entendiez ses conversations avec son grand ami, un poète-cubiste-dadaïste-surréaliste, et je ne sais quoi encore, que j’ai quelquefois rencontré chez elle… Ces deux-là démolissent tout, quand ils sont lancés.

La Bugatti s’arrêtait devant la gare après un virage savant.

— Antoinette est une fille extraordinaire, conclut Suzon en descendant. Je l’admire beaucoup.

Bertrand se retourna, montra sa figure rieuse et spontanée :

— Toinon ? C’est un chic type. On s’entendait comme larrons en foire quand nous étions gosses, et on se flanquait de ces piles ! Jamais elle ne cafardait. Un jour, je l’avais jetée sur le gravier, elle avait la figure tout en sang. La miss accourt en piaillant, m’accablant d’anathèmes britanniques. Antoinette se relève, très digne, essuyant ses écorchures avec sa manche : « Ce n’est rien, miss. On joue à se battre. » Sacrée Toinon !