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TROIS PARMI LES AUTRES

pas précisément à son égard l’âme de nourrice que les paroles d’Antoinette avaient tenté d’éveiller.

Elle, cependant, se demandait ce qui l’avait poussée à parler ainsi et s’inquiétait d’un tremblement imperceptible de l’âme qui vacillait au fond de sa gaieté.

Comment l’idée leur vint-elle de jouer au jeu de la Jungle ? C’est probablement Antoinette qui en eut l’inspiration, imprégnée qu’elle était de l’histoire de Mowgli. Mais il semblait en vérité que tout le monde y eût pensé en même temps. On discuta pour savoir qui serait Mowgli. Bertrand ou Robert Gilles ? Bertrand, avec sa sveltesse de Bacchus adolescent, son éclat de jeunesse, incarnait à merveille le Mowgli enivré de la Course de Printemps. L’autre, plus viril, un visage aux plans nets, des mâchoires accusées, un regard bleu qui fulgurait par moment dans la patine brune de son teint, figurait mieux Mowgli l’Homme, celui qui va quitter ses frères pour la piste solitaire et qui respire une dernière fois l’odeur sauvage de ses jeunes années.

Le débat fut tranché par Bertrand lui-même qui déclara préférer le rôle de Frère Gris.

— D’ailleurs, ajouta-t-il, Robert pourra jouer son rôle en sabir. Ce sera plus couleur locale. Il a vécu un an dans l’Inde.

Ah ! il connaissait l’Inde ? Il avait de la chance ! Les jeunes filles faisaient cercle autour de lui.

— L’Inde, l’Afrique, l’Amérique, l’Océanie, continua Bertrand sur un ton de bonimenteur. Robert vous dira qu’il est ingénieur-prospecteur