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LA MAISON DES BORIES

finit par se rendre compte que ce n’était pas une soif du gosier qu’il éprouvait, mais une sensation d’aridité totale qui le desséchait jusqu’au bout des doigts.

Il n’était pas contenté, voilà. Il avait le corps creux et vibrant comme une flûte, et ce sentiment croissant d’exaspération qui montait, montait…

Il se mit à marcher à grands pas dans sa chambre, les mains derrière le dos, tournant rapidement, d’un mouvement mécanique, à chaque extrémité de sa course. Cela rythmait sa pensée.

« Cette vie-là n’était plus possible. Il se sentait devenir fou. Le moindre incident provoquait un drame. Quelle histoire, mon Dieu, quelle histoire, pour un sale gamin qu’il n’avait même pas puni comme il aurait mérité de l’être ! Il aurait dû prendre une cravache, oui, voilà ce qu’il aurait dû faire… »

Un poignard aigu, gainé de velours, traversa le cœur d’Amédée, se coula dans son sang avec une rapidité vertigineuse. Il dut s’arrêter, les jarrets fléchissants, la gorge sèche, les membres emplis d’abeilles qui frémissaient, voltigeaient, chatouillaient, lui bourdonnaient aux oreilles… Un fauteuil le reçut. Il se sentait las, maintenant. Las et triste, chargé d’amertume.

« Tout cela, c’était de la faute d’Isabelle, de son absurde idolâtrie. Elle plaçait les enfants sur un piédestal et il n’y fallait pas toucher. Est-ce que c’était un système d’éducation, ça ? Est-ce qu’on l’avait élevé comme ça, lui ? »

Un sursaut de colère le mit debout et il reprit sa promenade mécanique.

« Bon sang de Dieu, qu’est-ce que ces êtres pouvaient bien avoir à se dire toute la journée et toute la nuit ? Lui, quand il avait vu les enfants pendant une heure, il en avait assez. Et pourtant, il n’était pas un mauvais père, il aimait bien ses enfants, mais oui, il pensait quelquefois à l’avenir, quand ils se-