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LA MAISON DES BORIES

larmes de Laurent lui pesaient sur le cœur, à l’étouffer.

Mais il fallait attendre. Elle entendait son mari marcher de long en large, dans la pièce à côté. Elle savait qu’il épiait ses mouvements à travers la porte de communication fermée. Ah ! oui, fermée ! Devant son regard, il n’avait pas insisté…

C’eût été pourtant le moyen de ménager une réconciliation, tandis que maintenant, il faudrait vivre pendant des jours et des jours sur le pied de guerre et c’était atroce de vivre sur le pied de guerre avec un pareil ennemi qui usait méthodiquement du tir indirect, visant la mère à travers les enfants et faisant mouche à tous les coups.

Tant pis, tant pis ! Il y a des réconciliations qui sont au-dessus des forces humaines. S’il l’avait approchée elle l’étranglait net.

Ce n’est pas la première fois qu’elle éprouve cette ruée affolante de tout son sang vers une image de meurtre. La première fois, ce fut le jour où il avait battu son bébé si sauvagement. Pendant un instant, elle avait imaginé qu’elle serrait le cou de l’homme entre ses mains, en creusant un nid pour les deux pouces à la base de la carotide. Elle en avait grincé des dents, toute secouée par un spasme auquel avait succédé une merveilleuse détente… Bien-être éphémère d’ailleurs. Après ces conflits tragiques, Isabelle se sent lasse et grelottante, le corps haché de courbatures, l’âme désespérée.

Cette nuit elle a appuyé ses beaux bras nus contre le mur, les mains en haut, à plat, d’un geste de prisonnier qui mime inconsciemment l’impossible évasion, et la tête abandonnée sur ses bras, dans le flot de sa chevelure farouche, elle tremble et pleure, sous le clair de lune indifférent.



Amédée avait bu coup sur coup plusieurs verres d’eau. Cette eau l’alourdissait sans le désaltérer. Il