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LA MAISON DES BORIES

Sans un bruit, presque sans déplacer d’air, légère comme une âme dans son peignoir de plumetis blanc, elle se penche sur chacun des enfants, les touche impalpablement du regard et du flair, rabat le drap qui cache la tête de Lise, recouvre Laurent qui s’est découvert, abaisse sa joue jusqu’au visage du Corbiau Gentil, trouve ce visage un peu brûlant et hoche la tête d’un air inquiet. Enfin, la voilà debout au milieu de la chambre, elle regarde lentement autour d’elle, hume l’air, ausculte le silence, tâte l’obscurité, — et lentement, lentement, comme à regret, fait demi-tour et s’en va.

Du moins, son corps s’en va. De quel nom appeler ce qui demeure derrière elle, ce qui, toute la nuit, veille au chevet des enfants et court alerter le corps, deux, trois fois par nuit, pour une épaule découverte et qui va prendre froid, incapable qu’elle est d’éveiller le cerveau engourdi du dormeur, — pour un enfant qui grimace et se débat, épouvanté au fond du sommeil par un cauchemar muet — pour un perce-oreille tombé du plafond et qui chemine sur le drap à la rencontre d’une chair tendre ? Deux, trois fois par nuit, Isabelle endormie traverse le couloir, s’éveille au bord d’un petit lit, recouvre l’épaule, chasse le cauchemar, tue l’insecte, retourne se coucher, s’endort aussitôt et le matin ne se souvient de rien. Mais les enfants savent qu’elle est venue. Ils ne s’éveillent jamais sans qu’elle accoure, blanche sous ses cheveux bruns, les yeux fermés et tout à coup ouverts, attentifs et lucides. Ce somnambulisme maternel n’a rien qui les étonne. Rien de ce qui vient d’Isabelle ne peut les étonner.

— Sa Gentille ? dit Laurent. Elle dort jamais. Jamais.

Dormir ? Comment pourrait-elle dormir ? Quel besoin a-t-elle de dormir ? Tout le monde dort, les simples mortels, oui, mais elle… S’ils étaient capables d’exprimer l’idée qu’ils se font d’elle, ils la définiraient ainsi :