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LA MAISON DES BORIES

La voix de Laurent enfla, sans hausser le timbre. Il parlait bas et fort, comme les acteurs qui font une confidence à cinq cents personnes :

— Écoute la bête qui tourne autour de la maison. Tu l’entends ?

— C’est pas vrai, gémit Lise.

— Tu l’entends ? reprit Laurent. Elle cherche, elle tourne, elle va peut-être trouver moyen d’entrer… oh ! là, là, là, là ! si elle passait sa patte par la fenêtre…

Lise poussa un râle étouffé et disparut sous les couvertures. On ne vit plus qu’un petit tas qui progressait vers le fond du lit par ondulations successives à la manière d’une chenille. À moitié chemin environ, cela s’arrêta, se mit en boule et ne bougea plus. Laurent, dressé sur son coude, le nez en bataille, les yeux brillants, guettait, avec une patience de chasseur de phoque, le moment où la victime reviendrait à la surface pour respirer. Il s’amusait follement. Cette pauvre Zagourette, ce qu’on la faisait marcher ! Le Corbiau ne marchait pas si facilement, elle n’acceptait rien sur la foi de la parole, rien, sinon qu’elle était laide, mais il valait mieux ne pas lui dire ça, d’abord parce que ça n’était pas vrai, ensuite parce que ça lui faisait vraiment de la peine et qu’elle fichait le camp dans ses terriers…

Laurent avait pour le Corbiau une tendresse tyrannique et la plus haute estime. Il fallait qu’elle lui obéît « au doigt et à l’œil », ce qu’elle ne faisait pas toujours, d’ailleurs, cette « cabocharde ». Certes, une fameuse cabocharde, et on l’aurait tuée sur place plutôt que de la faire céder, quand sa caboche avait dit non. Aussi, bien qu’il lui répétât toute la journée des choses désagréables, il l’estimait très fort. Personne, pensait-il, excepté bien entendu Sa Gentille qui savait tout, personne ne savait comprendre le Corbiau comme lui. Lui seul appréciait à leur valeur sa sûreté, sa fidélité, son intelligence « qui n’en avait