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LA MAISON DES BORIES

une séparation aussi nette qu’une dissociation chimique : d’une part, M. et Mme Durras ; — de l’autre : Isabelle et les enfants. Mais c’était une situation chimique essentiellement instable, du fait qu’Isabelle et Mme Durras étaient apparemment le même corps et que malgré l’extrême mobilité de ses éléments, un corps ne pouvait appartenir à la fois à un groupe et à l’autre. C’est pourquoi, par un accord tacite, les deux groupes évitaient autant que possible de se trouver en présence, — et c’est pourquoi M. Durras, qui s’ennuyait dès qu’il ne travaillait plus, dans son bureau clair et solitaire comme un phare, attendait ce soir-là qu’il fût l’heure d’en sortir.

En attendant, il traçait d’une main distraite et machinale sa signature sur une feuille blanche et son cerveau flottait au gré d’une sombre rêverie.

Oui, s’ils avaient pu ne jamais se trouver en présence… Théoriquement, c’était parfait, cette séparation des groupes. Pratiquement…

Et d’abord, s’il avait abandonné les enfants à eux-mêmes, ou à Isabelle, ce qui était la même chose, ils auraient été trop contents, et Dieu sait comment ils auraient pu être élevés, Laurent surtout ! S’il n’avait pas senti une poigne d’homme pour le mater, ce petit chenapan…

M. Durras serra sa lèvre supérieure sur ses dents. Il pensait à la scène de dimanche dernier. Ce jour-là, comme tous les dimanches, les enfants devaient déjeuner avec leurs parents, mais auparavant, M. Durras faisait la révision de la semaine : travail et conduite. Car il était fort soucieux de ses devoirs de père quoi qu’Isabelle pût en penser, et le premier devoir d’un père est de veiller à la conduite et au travail de ses enfants.

— Anne-Marie, avez-vous été sages tous les trois, cette semaine ?

La petite le regarde avec ses larges prunelles, sa