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LA MAISON DES BORIES

était furieùsement jaloux, comme tous les enfants gâtés. Le jour où on lui avait annoncé qu’il allait avoir une petite sœur, il avait déclaré avec un calme cynique : « Battue » et Amédée avait ricané, en regardant Isabelle désemparée : « Jolie petite nature, n’est-ce pas ? »

Lise est née et Laurent, comme frappé d’extase, passe des heures à côté du berceau, regardant de tous ses yeux ce phénomène. « Comédie ? » se demande le père qui guette une défaillance. Avec Laurent, les espoirs de ce genre sont rarement déçus. Tantôt, assis auprès du moïse, il improvise pour le bébé une tendre petite chanson : « Minonnette, zentillette, petit Totinolet, » tantôt, saisi d’une frénésie indomptable, il abat son poing sur le nez du « rossignolet » qui pousse des cris d’écorché, ameute la maison. Alors on voit Laurent, pâle, insensible aux coups, se frapper la poitrine en accusant avec des hurlements désespérés sa « tête de bourrique ». Et Amédée triomphe : « Vous voyez bien qu’il est méchant. »

Lise avait un an, lorsque Charles Comtat, le cousin germain d’Isabelle, mourut assez mystérieusement du chagrin d’avoir été abandonné par son insignifiante petite femme, laissant la charge de ses biens à Amédée et celle de sa fille à Isabelle. Il y eut donc à la maison un troisième enfant, une grave et noiraude petite fille d’environ deux ans, à qui Laurent dit tout d’abord : « T’es laide » et qu’il admit ensuite à partager fraternellement avec Lise les tendresses et les coups.

Amédée s’était donné pour tâche de protéger sa fille et sa pupille contre leur tourmenteur et il s’acquitta de cette tâche avec un entrain manifeste, y trouvant même des douceurs, jusqu’au jour où il s’aperçut qu’entre Laurent et lui, les petites avaient choisi Laurent.

À dater de ce jour-là, il s’était fait aux Bories