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LA MAISON DES BORIES

il s’efforçait sur place, entre ces mains d’homme qui le tenaient, avec des « ahan » et des appels du pied.

— « Veux-tu rester tranquille ! » s’écria Amédée en le secouant. Le bébé leva sur son père un regard stupéfait et désapprobateur et soudain ferma les paupières, ouvrit la bouche, aspira une goulée d’air et poussa du fond du gosier un cri de chat démoniaque. Ce fut comme si ce cri avait rompu une digue. Ainsi, c’était pour ça, pour cette larve piaillante qu’Isabelle oubliait son existence, le supprimait du monde ? Les lèvres d’Amédée se contractèrent sur ses dents et il se mit à frapper le petit corps, ravi par un transport plus large, plus franc que les voluptés ambiguës de la haie d’épines, une jouissance moelleuse et bienfaisante. Pâle, les yeux agrandis, il regardait rougir sous ses coups la peau du bébé avec une expression de stupéfaction heureuse et un peu égarée.

Isabelle fit irruption dans la pièce, d’un bond de louve, se saisit de l’enfant convulsé et hurlant et pendant quelques secondes elle fit face à son mari, muette, le corps raidi, comme engainé dans du bois jusqu’à la nuque, les lèvres entr’ouvertes et agitées nerveusement sur ses dents serrées. Amédée recula devant son regard. Il ne savait plus s’il était passé de l’état de veille à celui de cauchemar ou d’un rêve confusément agréable à une pénible réalité. Ce vertige se dissipa bientôt pour faire place à une furieuse honte, à une rancune énorme contre cette femme, cet enfant, cette scène grotesque. Il franchit la porte, eut conscience qu’il fuyait, se retourna, hurla : « Allez au diable ! » et se jeta dans l’escalier, le corps en tumulte.

Peu à peu il oublia cette scène. Il oublia même le désir de meurtre qu’il avait lu dans le regard d’Isabelle quand elle lui faisait face, les yeux vivant d’une vie terrible dans sa figure pétrifiée.

La soutenance de sa thèse, les éloges qu’elle lui