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LA MAISON DES BORIES

guet-apens perpétré par toute une collectivité de braves gens avec l’assentiment des familles et la consécration des usages, cette abominable trahison qui consistait à vous bander les yeux, la bouche et les oreilles, à vous engourdir le cerveau au moyen de quelques idées toutes faites et à vous jeter d’un seul coup, ligotée, ahurie, impuissante, au milieu d’une mêlée de fauves ?

Et sa religion, quels secours lui avait-elle ménagés, quel appui lui offrait-elle dans l’état d’abandon monstrueux où elle se trouvait maintenant ? À la pension où elle avait passé tant d’hivers à grelotter sous le regard mort d’une Vierge de plâtre, on lui glissait dans la poche un morceau de pain bénit pour la préserver des chiens enragés. Contre la bête tapie au fond de l’homme, il n’existait pas d’amulette. Elle ne retrouvait qu’une phrase, répétée à satiété : « Mon Dieu, que votre volonté soit faite… »

« Mon Dieu, que votre volonté soit faite. » Se soumettre, toujours se soumettre. Joindre les mains, fermer les yeux, tout accepter et attendre la mort. Car la vie ne nous était donnée que pour nous préparer à la mort et la suprême réussite, c’était de bien mourir. C’était cela qu’on lui avait appris et pour mieux la préparer à mourir, on avait oublié de la préparer à vivre. Eh bien, non ! On l’avait trompée. L’important, c’était de vivre, la grande chance humaine, la seule, c’était de vivre, la suprême réussite c’était de vivre en donnant la vie, — et la grande loi de la vie, c’était que le plus vivant triomphe du moins vivant, l’absorbe et le digère, — et la grande nécessité, c’était d’apprendre à se défendre et non à se soumettre, et c’est ce qu’elle allait apprendre, toute seule, et tout ce qu’on ne lui avait pas appris, par principe ou par négligence ou par erreur ou par système, elle allait l’apprendre, toute seule.

Le long hiver de cinq mois isolait la maison sous