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LA MAISON DES BORIES

que pour cette fois il lui pardonnait. C’était encore une si jeune femme ! Et ils étaient si heureux !

Il lui lisait aussi des fragments de sa thèse, qu’il était en train de rédiger. Là, elle l’écoutait avec un visible intérêt, mais elle n’en finissait pas de poser des questions, elle l’interrompait à chaque instant pour lui demander l’explication d’un mot, pour rattraper un chaînon qui lui manquait. Eh ! que diable, il ne s’était pas marié pour fonder une école libre ! C’était évident qu’elle ne pouvait pas prétendre, avec son instruction élémentaire de jeune fille « comme il faut », à saisir une pensée façonnée par des années d’études. Mais est-ce qu’il lui demandait de comprendre ? Il lui demandait d’écouter. Il se remit en colère et Isabelle l’écouta dès lors dans un parfait silence.

Mais ces petits incidents ne signifiaient pas grand’chose. Dans l’ensemble, ils étaient parfaitement heureux.

On l’aurait stupéfié en lui révélant qu’il s’était abattu de tout son poids sur Isabelle, qu’elle étouffait, que toute son activité de ménagère, de jardinière, n’était qu’une manière de lutter pour sa vie et que ses fleurs, ses bêtes, sa musique, ses livres, étaient pour la jeune femme autant d’alliés contre lui.



Isabelle n’aurait su dire à quel moment avait commencé en elle ce sourd travail de démolition. Peut-être dès le lendemain de son mariage.

Toujours est-il qu’elle s’aperçut un beau jour qu’elle était en train de démolir en elle tout ce à quoi, jusqu’à présent, elle avait cru.

On avait bouché toutes les issues du monde intérieur qui lui était familier. Maintenant, elle se frayait désespérément un chemin à travers elle-même, vers un monde nouveau. L’instinct avait commencé,