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LA MAISON DES BORIES



Lorsque Amédée Durras rencontra cette jeune fille, Isabelle Comtat vivait sans bruit dans la maison de ses parents. Le matin, elle faisait des tartes, des coulis et des galantines sous la direction d’une cuisinière réputée pour ses talents, mais qu’une vieille dyspepsie rendrait acariâtre. Puis elle arrangeait les fleurs en bouquets pour la table. L’après-midi, elle s’asseyait à son piano et jouait pendant des heures Mozart, Chopin, Schumann et Beethoven. Puis elle faisait des visites avec ses parents ou recevait les visiteurs de ses parents. Le soir, s’il n’y avait pas un bal ou quelque patinage d’hiver dans le parc d’un château scintillant sur sa colline au fond de la vaste nuit scintillante, elle rentrait dans sa chambre, fermait doucement la porte à clef et laissait crouler devant un grand feu clair la masse de sa chevelure, d’un brun de truffe glacé par endroits d’un peu de roux, comme la terre d’automne en sa profondeur.

Elle aimait sa famille, son pays, ce que la vie lui offrait, ce qu’elle semblait lui promettre. Mais déjà elle ne pouvait s’empêcher de juger ce qu’elle aimait le mieux avec autant de détachement que si elle ne l’eût pas aimé. Ainsi elle savait depuis longtemps que les siens étaient profondément bons, profondément honnêtes, de cette vieille bourgeoisie provinciale où l’on eût préféré voir un enfant mort que forfait. Mais que dans leur vie, dans les principes qu’ils appliquaient, dans leur conscience même, l’opinion d’autrui tenait plus de place que leur propre jugement. Et en silence, elle les désapprouvait.

Lorsque Amédée Durras demanda sa main, ses parents la consultèrent avant de répondre, — et elle répondit oui, en sachant exactement pourquoi.

Elle se connaissait depuis longtemps un grand désir