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LA MAISON DES BORIES

penchant, qui allait vers la femme et non vers le mariage ? Pourquoi avait-il stupidement désiré fonder une famille et pouvoir dire, comme les autres : « Ma femme, mes enfants, » sans même savoir ce que c’était qu’une femme et des enfants ? Pourquoi ? Pourquoi ?

« Et pourtant il avait été heureux avec Isabelle… Il avait pu croire un moment qu’il avait bien fait… »

M. Durras jeta un sombre regard à la photographie d’une jeune fille en robe de bal qui ornait sa cheminée. La photographie ne laissait voir que le buste, une ruche de taffetas encadrait un décolleté chaste, mais sans maigreur, un cou mince et rond, offert de trois quarts, comme le visage où le modelé doux de la prime jeunesse estompait un profil latin, long et ferme sous des bandeaux bruns très épais, noués en chignon.

Amédée retrouvait dans sa mémoire ce salon de province doucement éclairé, qui sentait le feu de bois et les petits fours fins, et cette jeune fille assise auprès de la cheminée, la tête penchée vers le feu, le bout de son escarpin verni sortant furtivement de dessous sa longue jupe claire, tel un nez d’agneau noir plein de crainte et de curiosité. L’arc très pur des sourcils regardait de haut et semblait s’étonner : « C’est donc ainsi ? » et la moue imperceptible de la lèvre supérieure, bien dessinée, bien relevée en son milieu autour d’une délicate empreinte en forme de petite amande, demandait avec mélancolie : « Pourquoi ? »

La main d’Amédée qui venait de couvrir la feuille blanche d’une série de signatures identiques s’échappa vers un coin libre et traça plus lentement à la manière d’une main qui écrit toute seule un autre nom : Isabelle…

Amédée tressaillit, biffa le nom d’un coup de crayon rageur et jeta la feuille au panier.