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LA MAISON DES BORIES

statique que de perdre son temps à écrire ses Pensées, bonnes tout au plus pour un siècle où on croyait encore dur comme fer à la création du monde en six jours.) Mais enfin il avait eu un éclair de bon sens, quand il avait écrit quelque part que les seize premières années de la vie sont des années nulles, ou quelque chose d’analogue.

« Et c’est justement à cette époque que ces maudits Jésuites s’étaient emparés de son esprit, l’avaient pétri, lui avaient communiqué jusqu’aux moelles un tremblement dont il avait mis des années à guérir. Un gosse qui tremble devant une vieille femme méchante, cela n’est rien, cela ne laisse pas de traces. Mais un homme qui tremble devant lui-même… ah ! bon sang de Dieu ! Le péché, la femme, l’immondice, la damnation — et perpétuellement : « Que suis-je ? Qui suis-je ? Que me veut-on ? » Ah ! bon sang de Dieu !

« Il s’était jeté dans le travail à corps perdu, comme on fuit. Et s’il avait choisi, entre toutes les sciences auxquelles son intelligence était également apte, — car on ne pouvait dire qu’il fût un imbécile, ça non ! — s’il avait choisi la science de la terre et de son histoire, ç’avait été pour y chercher des armes. Et il les y avait trouvées. C’était peut-être la seule chose qui ne l’eût pas déçu. Il les y avait trouvées, il avait appris à penser par lui-même. Les dogmes dont on l’avait imbu s’étaient effrités sans douleur, dispersés en poussière. Et le jour où il avait ri, non pas même ri, mais rigolé en songeant à cette pensée, précisément, de l’illustre raseur, où il est question de Moïse désigné par Dieu comme « l’historien du monde », ce jour-là il s’était senti fameusement délivré.

« Il aurait pu désormais être heureux, toute contrainte abolie… Toute contrainte abolie ? On le dit, on le croit, mais sait-on réellement où cesse une contrainte ? Pourquoi n’avait-il pas suivi son véritable