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LA MAISON DES BORIES

mandise son petit dîner de vieille chatte. On aurait cru qu’elle prenait plaisir à prolonger l’attente. Mais il avait attendu ce moment-là toute la journée et dès le lendemain matin il recommençait à l’attendre. C’était tout cela son enfance : l’attente interminable du châtiment.

« Cette vieille mère Durras, comme il l’appelait en lui-même, quand il était petit, faible et dévoré d’une rancune impuissante, cette terrible vieille femme qui avait successivement réduit en servage son mari, son fils et sa belle-fille et qui continuait d’opprimer le dernier survivant de sa race, que lui avait-il fait ? Peut-être qu’elle ne lui pardonnait pas d’avoir échappé à la catastrophe de chemin de fer qui avait coûté la vie à ses parents ? Évidemment, c’eût été une belle simplification, la mère Durras n’avait pas tort. Pour ce que la vie lui avait apporté de bonheur, il eût mieux valu l’écraser dans l’œuf. Il lui aurait volontiers dit cela à la vieille dame, par une espèce de tardive sympathie, maintenant qu’il avait son jugement d’homme. Mais elle était morte, la terre gardait ses os. Qu’elle les gardât bien ! S’il y avait eu un enfer… Mais c’était là une de ces bourdes avec lesquelles on avait achevé de le terrifier jusqu’à l’âge de vingt ans. Et les Pères Jésuites avaient eu beau lui donner tous les prix d’excellence de leur collège de Saint-Christophe il savait trop ce que ça lui avait coûté, ces prix d’excellence, pour leur pardonner jamais de l’avoir abruti à ce point-là. Eux, après la mère Durras, du beau travail en vérité, ah ! oui !

« La vieille dame, passe encore. Elle ne l’avait tenu sous sa férule que pendant ses jeunes années, celles qui comptent pour rien dans la vie d’un homme. Cet illustre raseur de Pascal avait eu un éclair de bon sens (en voilà un, entre parenthèses, qui aurait mieux fait de continuer ses expériences d’hydro-