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LA MAISON DES BORIES

Il saisit une feuille blanche et se divertit à tracer sa signature à l’encre bleue, à l’encre rouge, à l’encre verte, à l’encre violette, puis avec une vingtaine de crayons différents qu’il trouvait sous sa main, rangés par ordre de tailles, comme les gommes, à côté des cachets timbrés à ses initiales et des bâtons de cire fine de toutes les couleurs de l’arc-en-ciel. Isabelle le plaisantait quelquefois sur son goût excessif pour les accessoires de bureau, — et aussi sur sa manie d’écrire son nom partout, même à la surface des vitres embuées, du bout du doigt : Amédée Durras, Amédée Durras… L’A et le D gonflés, immenses et ronds, comme deux montgolfières entraînant le filin d’une mince signature à peine lisible, faite d’une série d’ondulations qui allaient s’affaiblissant, se perdant, — mais les deux traits parallèles qui encadraient la signature la maintenaient fermement dans des rails et compensaient en quelque sorte l’aventure dérisoire des montgolfières.

Amédée Durras, Amédée Durras…

Il crut entendre à son oreille la voix d’Isabelle avec ce rien de sarcasme caché sous la plaisanterie :

— Vous l’aimez donc tant, votre nom, que vous voulez le voir écrit partout ?

« Sottise ! Comme si un geste machinal pouvait traduire une inclination… Il n’entendait que trop ce qu’elle prétendait insinuer. Mais elle se trompait, encore une fois. S’il se fût aimé lui-même autant qu’elle le prétendait, il aurait été plus heureux, car les satisfactions d’amour-propre ne lui avaient pas manqué, depuis le collège jusqu’à sa thèse de doctorat ès sciences, qui avait été si favorablement commentée dans le monde scientifique. Il aurait eu de bonnes raisons d’être content de lui et pourtant…

« Son nom ! son nom ! Évidemment qu’il y tenait, à son nom ! C’était sa représentation en ce monde, c’était une de ses figures, une figure soustraite aux