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LA MAISON DES BORIES

pas d’histoires » ou bien, devant quelque chose de médiocre : « Ça, c’est pour les pignoufs » ou encore : « Ça n’est rien, rien du tout, » en pesant sur le rien comme pour l’enfoncer en terre et le « rien du tout » venait ensuite pour niveler la terre par-dessus et qu’il n’en fût plus jamais question.

Elle disait encore très souvent : « C’est l’essentiel, » avec un air affairé d’abeille qui a plus de fleurs à butiner que sa vie d’abeille ne comporte de minutes.

M. Durras avait aussi ses expressions familières. Par exemple ; « C’est inffernal » avec f explosive, ou « C’est abssurde » avec « s » double. Et encore : « Suivez bien mon raisonnement… » « Toutes choses égales d’ailleurs, »… « nous ne parlons pas au conditionnel »… « Très exactement, voici… » Et encore, quand il parlait à Isabelle : « Vous ne pouvez donc rien faire comme tout le monde ? » et quand il parlait à Laurent : « Je te vais mater » et quand il se parlait à lui-même : « Eh bien ! et moi ? »

Isabelle disposa sur la table les livres et les cahiers et approcha quatre chaises. Les enfants travaillaient mieux quand ils la voyaient assise à côté d’eux et travaillant comme eux.

Chacun prit un livre et c’était curieux d’observer combien ils se comportaient différemment. Laurent lisait tout bas des lèvres en ponctuant chaque mot d’une inclinaison du buste et de la tête, comme un rameur qui peine, — et pourtant il n’avait aucune peine à retenir ce qu’il apprenait, mais il lui fallait contracter tous ses muscles pour obliger son attention à se fixer et pour s’empêcher d’envoyer le livre au plafond. Lise parcourait rapidement les lignes et de temps en temps relevait un regard brillant et ravi qui semblait prendre le monde à témoin de la nature exquise de cette leçon si intéressante et si facile à apprendre. Anne-Marie lisait des yeux, comme une grande personne, mais en faisant une pause à chaque ligne,