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LA MAISON DES BORIES

nue et blanche au soleil comme un os de seiche, et à côté les bâtiments bas de l’écurie et de la remise, coiffés de tuiles rouges.

Il y avait encore le potager, le champ d’avoine qui appartenait à la maison et le jardin de fleurs extraordinairement éclatant, planté par Isabelle. La basse-cour avec ses poules et ses pintades, le clapier et la niche du camarade chien, — et trois sorbiers qui étaient censés donner de l’ombre en été, mais que le soleil traversait comme un crible, avec une telle force qu’on s’étonnait de ne pas l’entendre crépiter sur les feuilles.

Et puis il y avait le vent, maître du plateau avant tout autre. C’était le vent que le Corbiau entendait, de son oreille libre. Il passait sur les seigles avec un bruit d’aiguisage et s’en allait bercer la cime des sapins, sur la pente de la montagne. Un bon vent régulier de beau temps, qui ne méditait aucun mauvais coup. Tout allait bien, en somme. Pourquoi se tourmenter ?

« Puisque cette femme-là repartirait comme elle était venue, si jamais elle s’avisait de venir, puisque ça ne signifiait rien qu’on fût la fille de cette femme-là plutôt que la fille d’Isabelle, puisque Isabelle vous aimait autant qu’on l’aimait, c’est-à-dire on ne pouvait exprimer comment… »

Et justement Isabelle appelait, et le vent apportait sa voix :

— Anne-Marie ! Viens goûter ! Allons, viens, mon Corbiau !

Le Corbiau déplaça le petit caillou vers la droite et le remit en place. Elle était sortie de sa maison. Elle progressa vers l’extrémité du sillon en rampant, mais quand sa tête plongea dans la nappe éclatante de l’après-midi, elle recula vivement et rentra dans le sillon. Elle n’était plus certaine, tout à coup, d’avoir complètement terrassé l’inquiétude, d’être suffisamment armée pour supporter la lumière, les regards,