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LA MAISON DES BORIES

pêche… le lendemain, on vint chercher Chientou et tout le monde pleura.



La voiture de louage attendait dans la cour, les bagages s’entassaient dans le vestibule, tout était prêt. Isabelle s’assit dans l’embrasure de la fenêtre, au fond du salon vide. Amédée, là-haut, visitait toutes les chambres pour s’assurer qu’on n’avait rien oublié, ouvrant et fermant les portes sur son passage. La jeune femme pensa tout à coup à Carl-Stéphane. Où était-il ? Que faisait-il ? Elle n’avait jamais répondu à cette folle lettre de vingt pages qu’il lui avait adressée de Paris, le lendemain du drame et qu’elle avait brûlée, feuillet par feuillet, écrasant même les cendres… Depuis ils avaient échangé de ces billets insignifiants et courtois, vœux de fête, remerciements à propos d’un cadeau, qui ressemblent aux paroles échangées sur le quai d’une gare, avant le départ du train. Elle ne saurait plus rien de lui, il ne saurait plus rien d’elle. Pauvre Carl-Stéphane ! Il avait désiré l’amour d’une femme, mais c’était trop tard — et il avait emporté sans le savoir, l’amour d’une petite fille — mais c’était trop tôt. Toujours ainsi, toujours ainsi… Quelle piste embrouillée ! Quel étrange colin-maillard de déceptions et de réussites à contretemps ! Ce qu’on avait rêvé arrive, mais sous une figure si déformée qu’on ne le reconnaît pas. Et pourtant ce qu’on avait profondément voulu finissait toujours par se réaliser. Voici qu’Amédée s’était engagé de lui-même sur le chemin où elle avait désiré l’amener et qu’ils allaient quitter cette maison des Bories où elle avait connu des déchaînements inouïs de bonheur, de douleur, et d’inquiétude, sans désespérer jamais. Pendant des années qui lui paraissaient maintenant une seule longue minute, elle avait tenu sur son cœur ce qu’elle aimait le mieux au monde, seule avec son amour dans cette nature farouche qui s’accordait