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LA MAISON DES BORIES

sourit. Ce sourire tomba sur un visage de femme, placé là comme une sébile pour recueillir les sourires sans emploi et en faire son pain quotidien. Amédée suivit la femme. Un naufragé touchait terre.

En montant l’escalier de l’hôtel où il était entré quelques minutes après elle pour se conformer au rituel établi par la tolérance de la police, il eut le sentiment fugitif d’exercer des représailles justifiées. Puis il se souvint de la désinvolture avec laquelle Isabelle traitait « cette histoire » et aussitôt tout le rebuta : le tapis couleur farine de moutarde bordé d’une bande grenat, la tête d’un garçon d’étage et la voix de la femme qui lui demandait pourquoi il avait l’air « à cran ».

Une heure après, rasé, baigné, détendu, Amédée regardait passer la foule, assis à la terrasse d’un café des boulevards. Il s’amusa longtemps à observer le manège d’un camelot qui avait étalé un bout de tapis sur les trottoirs et faisait combattre deux petits coqs d’étoffe ou de fer-blanc mus par des élastiques. À un mètre de distance, il était impossible de distinguer les fils et les petites bêtes élancées l’une contre l’autre, de toute leur masse légère de jouet, semblaient vider avec fureur une inépuisable querelle personnelle. Au bout d’un moment le camelot, ayant fait quelques affaires, rangea ses petits belligérants dans une boîte, ramassa son vieux bout de tapis et s’en fut plus loin.

Amédée paya sa consommation, se leva et redescendit à pied vers Neuilly. Une grande résolution mûrissait dans sa tête.

À l’automne prochain, il viendrait s’installer à Paris avec sa famille. Depuis pas mal de temps déjà, il était tenté par l’étude des terrains du bassin parisien. Et puis, dans une ville, il pourrait doubler son travail personnel d’une activité extérieure : des conférences, des cours, encore qu’il ne tînt pas beaucoup à s’inscrire dans les cadres de l’Université. Les enfants iraient en classe, Isabelle les verrait moins.