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LA MAISON DES BORIES

en éclats le soleil nouveau. On entendait partout son chuchotis pressé et son musical sanglot d’impatience quand elle rencontrait l’obstacle d’une grosse racine ou d’un caillou.

Amédée se hâtait d’achever son ouvrage, comme s’il se fût senti traqué par l’impérieuse saison. Laurent dessinait pour sa mère un projet de bandeau de tapisserie aux iris bleus, sur fond jaune. Le Corbiau musait le long des haies, à la recherche de chenilles rares qu’elle mettait dans une boîte percée de trous, et la boîte sous son lit. La Zagourette regardait grossir les œufs de grenouilles dont le filet gluant voilait l’eau du ruisseau et guettait avec une amoureuse impatience les premiers coucous des prés. Encore quinze jours, et les narcisses allaient fleurir dans le pré marécageux, derrière la ferme. Les narcisses ! Rien que d’y penser, on en avait l’estomac serré de joie.

C’est à ce moment qu’Isabelle tomba malade et le printemps s’éteignit.

Depuis quelques mois, elle avait parfois un peu mal au ventre quand elle montait les escaliers. Mais elle n’y prit garde que le jour où la douleur, au lieu de cesser lorsqu’elle s’asseyait, persista, devint lancinante. Elle dut enfin s’aliter, avec une poche de glace pilée sur le ventre et le médecin déclara qu’il fallait l’opérer. Isabelle décida sur-le-champ qu’elle partirait le lendemain même pour Paris où elle connaissait un chirurgien habile. Lise et Laurent se sauvèrent dans le salon et, à force de pleurer dans les bras de l’un de l’autre, s’endormirent au creux du même fauteuil. Quant il leur fallut se mettre à table en face de leur père soucieux et sévère, ils montraient des faces boursouflées où les fleurs carrées du velours de Gênes avaient imprimé des tatouages en creux du plus barbare effet.

— Allons, allons, dit M. Durras, vous n’êtes pas