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LA MAISON DES BORIES

la barrière son mufle innocent, tendre et morveux. Mais l’arrivée du train des camarades déclenchait régulièrement une panique éperdue.

Le train des camarades était double. Il y avait le train des garçons et le train des filles. Le train des garçons était attelé à une locomotive dernier modèle, de celles qui font du 120 à l’heure. La locomotive du train des filles n’était que de l’avant-dernier modèle : elle ne pouvait dépasser le 110. Laurent l’avait décidé une fois pour toutes, sourd aux cris de rage et aux protestations.

— D’abord, c’est moi le chef de gare. Si vous m’embêtez, je décroche la locomotive et vos filles restent en panne.

Alors le Corbiau haussait des épaules résignées et Lise souriait, brusquement calmée, une petite étincelle bleue dans chaque prunelle. Un jour viendrait…

— Tu y es ? demanda Laurent. Attention ! Je donne le signal à Henri.

Il leva le bras dans la direction des monts lointains, d’un bleu d’aile de ramier, qui ondulaient à l’horizon, écrasés par la perspective.

À ce signal convenu, Henri, le chef des camarades, lançait du fond de l’espace la locomotive dernier modèle et le train chargé de garçons.

Chientou se souleva deux ou trois fois sur ses pattes de derrière comme un lapin à qui on présente une carotte, et fit : « Ha ! » d’un air extraordinairement excité.

— Tûûûû-ûû-ûû-tt !

Laurent parcourut au trot une cinquantaine de mètres à la rencontre du train, tourna sur lui-même et piqua un galop frénétique, les coudes collés au corps. Le train arrivait à cent vingt à l’heure. Un saut de côté, et Laurent redevint chef de gare pour donner le signal d’arrêt. Puis il s’empressa pour accueillir Henri, Simon, Paul, Lucien, Jacques, tous les camarades qui descendaient en tumulte des wagons.