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LA MAISON DES BORIES

propre, s’épanouissait à l’intérieur du triple cercle de chaleur, de lumière et de saveurs qu’Isabelle traçait autour des siens, au cœur des éléments déchaînés.

Elle faisait de l’hiver une fête perpétuelle au creux de la maison tapissée de bien-être, qu’elle emplissait, comme un nid, de choses brillantes et bonnes à manger. Comment s’y prenait-elle pour transformer quatre mois d’isolement farouche en une seule longue journée irradiée par la merveille de deux syllabes : Noël ? Son pouvoir se manifestait par mille petits riens : une bougie rose, une chandelle romaine, un quartier d’orange ou une noix glacée dans une caissette de papier gaufré, — plus subtilement, par un sourire, une inflexion de voix qui suggérait des joies et des promesses mystérieuses, par une allégresse triomphante, une capacité d’espérance et de bonheur infinie, enfantine : Noël. Et cette joie recouvrait la tragédie d’un destin douloureux, accepté avec pleine conscience, pour sauver des vies plus faibles, nourries de son sang et qui exigeaient innocemment la pleine consommation du sacrifice : Noël.

De l’autre côté des murs, la tempête menait ses combats aveugles, chaotiques, lançait sur la maison un bélier de vent qui l’ébranlait tout entière d’un coup sourd, comme une vague contre un récif, puis se débridait en une galopade panique, aiguisant, à mesure qu’elle s’éloignait par-dessus forêts et montagnes, le long cri surhumain de la vitesse éperdue.

Ce pandémonium cessait aussi brusquement qu’il avait éclaté et les enfants sortaient en criant de plaisir dans le froid clair, scintillant de gemmes sous le soleil. La neige était brassée, feuilletée en énormes tas, découvrant par endroits le sol nu, dur et sonore. Le vent de la Margeride ravinait ses terres en maître sanglier. Çà et là, un creux fouillé par la bourrasque imitait l’empreinte d’un torse immense, au revers d’un talus blanc. Il ne fallait qu’un peu d’imagination