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LA MAISON DES BORIES

Cric, cric, cric… Pour plumer la tête sans l’écorcher, il fallait tendre la peau sur le crâne avec le pouce de la main gauche… Voici l’oiseau plumé, tout nu, avec son vieux petit crâne et ses bras manchots. Le Corbiau le tourne et le retourne entre ses mains, le cœur serré de tendresse et d’angoisse. Cela fut une grive, qui chantait, qui se bourrait de grains de genièvre, et maintenant, qu’est-ce que c’est ?

Elle alignait les petits corps sur la table de la cuisine, bien en ordre, sortait sans bruit, montait sans bruit à la chambre d’amis, au fond du vestibule du premier étage. Cela avait été la chambre de Carl-Stéphane et maintenant, qu’est-ce que c’était ?

Elle ouvrait le premier tiroir de la commode, et la chambre redevenait la chambre de Carl-Stéphane, puisque la bille d’agate était là, posée sur le petit miroir ancien que le jeune homme avait envoyé de Paris « pour son Gentil Corbiau », avec d’autres jolis cadeaux pour Lise et Laurent, avant de retourner dans son pays, d’où il reviendrait… quand ? « Je n’en sais rien, » répondait Isabelle quand Lise ou Laurent lui posait la question, car le Corbiau Gentil ne prononçait jamais le nom de Carl-Stéphane.

Mais la bille d’agate était là, réfléchie par l’eau un peu trouble du miroir encadré d’argent.

La petite fille allait fermer la perte à clef, marchant sur la pointe des pieds, le cœur battant. Elle revenait à la commode, sortait avec précaution bille d’agate et miroir, les posait sur la table.

Dans le deuxième tiroir, il y avait l’échiquier, avec un traité du jeu d’échecs. Elle posait le tout sur la table et commençait à travailler, lisant tour à tour et déplaçant ses pions :

— Le Fou court en diagonale sur les cases de sa couleur, en avant et en arrière…

Elle lisait tout haut, mais ce n’était pas sa propre voix qu’elle entendait : c’était une voix lente, guttu-