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LA MAISON DES BORIES

Laurent : une cire creusée à coups de pouce, où seuls les yeux vivaient, au fond des orbites, pareils à deux flammes de cierge allumées par l’angoisse sous la voûte d’une chapelle. Elle priait comme une folle, à ce moment-là. Elle avait voué son fils au bleu et au blanc jusqu’à l’âge de douze ans, pour que la Vierge le prît sous sa protection, — ce qui était d’autant plus absurde qu’Isabelle avait cessé de croire, comme lui, à la religion de son enfance, mais tout devenait bon, quand il s’agissait de Laurent. On l’aurait fait marcher à quatre pattes et manger de l’herbe. Mais pour lui, pas de danger qu’elle priât le Bon Dieu, la Sainte Vierge ou les anges !

Isabelle interrompit le cours de ses pensés en lui apportant son déjeuner, et le visage d’Amédée s’éclaira, car il voyait sur le plateau une tasse de consommé de volaille, une aile de poulet et une crème aux amandes grillées, — le même menu qu’elle avait servi à Laurent le jour où il avait dit : « J’ai faim, » et où ces deux mots l’avaient lancée en tourbillon à travers toute la maison, criant à tout le monde, d’une voix insensée : « Il est guéri ! »

— Aurez-vous assez ?

— Merci, c’est juste ce qu’il me faut.

« Ouf ! ces escaliers… » soupira Isabelle en s’asseyant au pied du lit. Elle portait la main à son ventre avec une petite grimace.

Eh bien, reposez-vous, dit-il brusquement. Personne ne vous oblige à vous fatiguer.

Mais pendant qu’elle déjeunait, en bas, avec les enfants, il la fit monter à deux ou trois reprises, sous prétexte d’ouvrir la fenêtre ou de remplir sa boule d’eau chaude, en réalité parce qu’il les entendait rire et que tout d’un coup il s’ennuyait et se sentait seul.

Les enfants venaient le voir plusieurs fois par jour, tournaillaient un moment dans la chambre comme des