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LA MAISON DES BORIES

et la jeune femme retournait s’asseoir au creux d’un fauteuil. Lasse, les derniers roulements de l’orage retentissant encore dans sa tête, elle se sentait accablée par une tristesse sans bornes. Demain matin, à la première heure, le chirurgien du Puy serait là, Amédée guérirait de sa blessure, elle en avait la certitude. Mais elle avait aussi la certitude que nul chirurgien ne pourrait jamais débrider la plaie secrète qui empoisonnait l’atmosphère autour d’eux.

Cette nuit-là, le Corbiau s’éveilla en sursaut, poursuivie par le souvenir d’un événement terrible auquel il fallait penser, penser, penser… mais aussitôt dégagé de sommeil, son cerveau lui répondit : « Non, c’était Ludovic. Les gendarmes savent que c’était Ludovic » et elle se rendormit avec un soupir de bien-être.



Comme Isabelle l’avait prévu, la cicatrisation de la blessure fut rapide :

— Vous êtes bâti à chaux et à sable, mon cher monsieur, dit le médecin, le jour où il enleva les fils de suture. Vous vivrez jusqu’à cent ans.

— Grand merci, docteur. Je n’y tiens pas.

Quand ils furent seuls, Amédée se tourna vers sa femme, poussé par le démon des jouissances amères :

— Ma pauvre amie, vous avez manqué une belle occasion de vous débarrasser de moi.

Il attendait une protestation passionnée mais elle se contenta de hausser les épaules. Toute la matinée, il médita sombrement.

Elle l’avait bien soigné, c’est vrai, veillant à son chevet aussi longtemps qu’il avait été en danger, présente au moindre appel, — et patiente. C’est vrai. Mais pourquoi avait-elle l’air si tranquille ? Il aurait voulu revoir, au moins une fois, penché sur lui, ce visage que lui avait fait, jadis, l’attaque de croup de