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LA MAISON DES BORIES

z’histoire-là, déclara la Zagourette, c’est vraiment pas la peine, pisqu’on lui a dit que si sa mère venait la chercher, on la flanquerait dans le ravin.

Isabelle sursauta :

— Mais qu’est-ce que vous avez bien pu lui raconter ! sa mère ne viendra jamais la chercher, cette lettre n’avait aucune importance, ça n’était rien, rien du tout, et vous en avez fait toute une histoire. Je suis sûre que cette petite va se tourmenter pendant des semaines, maintenant. Tenez, vous êtes insupportables !

Elle reprit son ouvrage d’un air mécontent et tira de brusques aiguillées, sans mot dire.

Laurent et Lise échangèrent un regard consterné.

Ils ne bougeaient plus, retenaient leur souffle, prêts à pleurer, Isabelle, les yeux baissés sur son ouvrage, entendait ce silence et voyait ces deux petites figures chagrines par tous les pores de sa peau. Au bout d’un moment, elle les regarda en souriant avec une moue tendre, les sourcils remontés vers le front. Alors ils grimpèrent sur ses genoux et scrutèrent minutieusement son visage pour voir s’il ne s’y était pas formé une ride dont ils seraient les responsables. Mais elle avait toujours sa peau veloutée, douce et blanche comme l’amande et finement tendue sur sa jolie joue maigre par l’arête romaine du nez et du menton. Ils soupirèrent de satisfaction, pétrissant ce visage à pleines mains, à pleine bouche, comme un pain dont ils ne pouvaient se rassasier. À son tour, elle fit mine de les manger et leurs rires, leurs cris aigus, emplissaient la pièce.

Soudain, Isabelle dressa la tête et les enfants s’immobilisèrent à son exemple.

Quelqu’un descendait l’escalier : un pas d’homme. Le groupe se dénoua instantanément, avec souplesse et en silence. Les enfants coururent à la table où traînaient des journaux illustrés et s’absorbèrent dans