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LA MAISON DES BORIES

pas de la voiture, preste et joueuse, à la manière d*un lézard ou d’une souris. Elle s’éteignit en chuintant et l’averse redoubla, avec des sifflements, des assauts forcenés.

— À quelques centimètres près… pensa Isabelle.

Soudain elle se dressa toute droite, comme hallucinée. Elle venait de voir en imagination ses enfants orphelins.

Non, non, n’y pas penser, chasser cette idée. Deux secondes de plus, elle allait se mettre à hurler comme le chien, tout à l’heure, à courir follement vers la maison, à travers la tempête.

Elle se contraignit à se rasseoir, rassembla les guides. Carl-Stéphane, à côté d’elle, se laissait ballotter par les cahots de la voiture, les coudes aux genoux, la tête ensevelie dans ses mains. Une colère rouge la souleva contre cet insensé, à cause de qui ses enfants risquaient de la perdre. De quoi s’était-il mêlé ? L’avait-elle prié d’intervenir ? S’était-elle jamais plainte ? Oh ! ce droit haïssable sur la vie des autres que les êtres s’arrogent au nom de l’amour ! Croyait-il donc qu’Amédée était l’obstacle, entre elle et lui ? S’imaginait-il forcer sa volonté par un meurtre ? Un meurtre ! Introduire la mort dans son jeu, la mort qu’elle repoussait tous les jours, sous toutes ses formes ! Voilà donc ce qu’il méditait, ce fol, ce mangeur de chimères, ce Gribouille qui prétendait jouer les Lohengrin !

Elle lui jeta un regard irrité, le vit si défait, si pitoyable, que sa colère fondit d’un seul coup et qu’elle l’embrassa, les larmes aux yeux. Son seul ami, le seul être qui lui eût témoigné du dévouement, depuis des années. Et voilà qu’elle allait le perdre… Carl-Stéphane la regarda d’un air surpris et préoccupé, comme quelqu’un qui cherche à comprendre une leçon difficile.

— Allons, remettez-vous, dit-elle, criant pour sur-