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LA MAISON DES BORIES

Son pied heurta le revolver dans l’herbe. Il le ramassa et le coucha dans la paume de sa main droite, en le flattant de la main gauche, comme il aurait fait d’un cheval. Décidément, la chance était pour lui. Avec cette petite pièce à conviction, il les tenait. Elle pourrait toujours lever le menton. Avait-il eu du flair, non mais, avait-il eu du flair, en laissant sa femme à Clermont pour venir surveiller le Kürstedt ! Jamais il ne l’aurait cru capable de ça, cet efflanqué !

— Ben, mon gars… Ben, mon gars…

Il tendait le cou, pour tâcher d’apercevoir encore la haute silhouette dégingandée qui avait fondu dans le crépuscule, sous un voile de pluie sifflante.

— Cours toujours, mon fils, dit-il tout haut. Tu n’iras pas loin.

Ce triomphe le payait en une fois de toutes les servitudes. Enfin, il était le maître de quelque chose et de quelqu’un. Il tenait deux vies entre ses mains, il pouvait faire souffrir, il était riche.

Par une bravade plus ou moins consciente, il s’adossa au tronc du hêtre, qu’il sentait bouger sous son épaule lorsque les assauts du vent tordaient sa ramure fouettée de pluie. Le danger de la foudre ? Peuh ! Sa chance ne le rendait-elle pas invulnérable ? Se fait-on écraser lorsqu’on vient de gagner le gros lot ? Solidement piété sur le sol, le dos à l’arbre, Ludovic défiait les éléments, enivré par la complicité des circonstances.

Il fut foudroyé en pleine certitude, lorsque la décharge s’abattit sur le grand hêtre. La terre et les nuages réglaient leurs comptes aveugles et Ludovic n’eut pas le temps de s’étonner de ce démenti infligé à sa confiance. Une gifle géante l’écrasa sur le sol. Cela ne fit guère plus de bruit que l’éclatement d’une noix plaquée par le vent d’automne sur la route dure. Mais la grosse branche du hêtre, tranchée vive, s’abîma dans un fracas soyeux, recouvrit le corps inerte avec un tremblement inextinguible de personne vivante.