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LA MAISON DES BORIES

Mais on apercevait déjà la maison et Chientou arrivait ventre à terre, fou de joie, se roulait aux pieds d’Isabelle, bondissait dans la voiture pour répondre aux cris des enfants, s’échappait, revenait, saluait enfin Amédée d’une flairée diplomatique et d’un va-et-vient de queue courtoisement protocolaire.

Tout le monde était descendu pour soulager la jument que Laurent guidait par la tête, tirant avec elle à plein collier. Les petites filles allongeaient le pas pour essayer de rattraper Laurent et M. Durras venait par derrière, sa femme à ses côtés.

Comme on dépassait le grand hêtre, de larges gouttes, molles et lourdes comme du mercure, étoilèrent la poussière,

— Voici la pluie, dit M. Durras. Dépêchons.

À peine avait-il fini de parler qu’une sèche détonation craqua. Il fit un geste du bras et tomba sur les genoux.

Dans le tumulte qui s’ensuivit, personne ne prit garde à Chientou qui se dressait contre le tronc du hêtre en aboyant furieusement. Personne, sauf le Corbiau Gentil qui serrait ses deux bras repliés contre ses côtes, ne disait mot, ne bougeait pas et regardait tout, de ses yeux dilatés dans une face livide. Lise poussait des cris perçants. Laurent, avec le sang-froid surprenant de certains nerveux, avait d’abord calmé la jument et maintenant il aidait sa mère à hisser le blessé dans la voiture. Il vit du sang sur ses mains, ferma les yeux et serra les dents,

— Qu’est-ce que c’est ? Que s’est-il passé ? demanda M. Durras d’une voix mince, faible, plus émouvante encore que la vue du sang.

Isabelle secoua la tête, comme pour signifier : « Je ne sais pas, je ne sais pas. » La crispation de ses mâchoires l’empêchait de parler.

— Maman, sanglotait Lise, est-ce qu’il va mourir ?

Elle fit « non, non » de la tête.