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LA MAISON DES BORIES

mieux et que personne ne pourrait faire aussi bien que vous. Hmm ?

Et Clodomir était venu faucher l’avoine, panser Bichette et entretenir le jardin, maniant languissamment une bêche ensommeillée et un sécateur à couper les songes.

Puis il fallut songer à la provision de bois. L’automne pourrissait déjà la fin du mois d’août. Avant le lever du soleil, des brumes traînaient sur le paysage bleu, humide et massif comme une grosse prune. Les soirées étaient plus fraîches, l’odeur de la forêt, au crépuscule, plus proche et plus hardie. Une averse passa sur la montagne et quand le voile d’eau se leva, on vit pointer dans la verdure sombre des sapins, très haut, une mèche couleur de miel.

Un matin, Isabelle s’éveilla sous un choc brusque. C’était ce soir qu’Amédée revenait. La vie simple, ordonnée, laborieuse, allait à nouveau se doubler de ce cauchemar étranger à sa vie, ce déroulement cruel et hagard où elle tenait sa partie malgré elle, essayant toujours d’en démêler le sens et de ne pas perdre la bonne direction.

Un ciel chargé de nuées gris jaunâtre, couleur de mauvais œuf, assombrissait la fin d’une lourde après-midi quand ils s’en furent tous les quatre à Chignac dans la voiture. « Pourvu que nous ayons le temps de rentrer avant l’orage, » pensait Isabelle oppressée par la chaleur moite, le silence de la campagne à peine troublé de brefs coups de vent qui prenaient les feuillages à revers, les retroussaient vivement et les laissaient retomber, — oppressée davantage encore par l’inquiétude, la tristesse de ce revoir, par une sorte de nausée morale.

Lise et Laurent bavardaient, contents de la promenade. Lise pariait que leur père serait de bonne humeur, content de rentrer à la maison et qu’il leur raconterait une z’histoire de militaires. Laurent pariait