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LA MAISON DES BORIES

Isabelle leva ses grandes paupières et sourit, et la même lumière éclaira de l’intérieur leurs trois visages qui se ressemblaient sans qu’il fût possible de situer cette ressemblance.

Elle se pencha, flaira délicatement leurs cheveux et leurs joues, à la manière des mères chattes, et sut ainsi que tout était en ordre, qu’ils se portaient bien et ne s’étaient pas encore battus.

La joue de Laurent avait la couleur et la saveur d’une pêche flambée et son regard brusque et doré éclatait violemment et magnifiquement dans son visage cuit.

La joue de Lise était ronde, translucide et délicatement rosée, comme un pétale d’églantine. Le plus brûlant soleil n’arrivait pas à l’entamer et la lumière se concentrait toute dans ses cheveux dorés, d’une légèreté d’écume, qu’elle faisait perpétuellement danser et virevolter autour de sa tête comme les grelots d’une petite folie. Elle-même était la folie et le grelot, ivre de gaieté du matin au soir, bavarde et pétulante avec, parfois, des crises de rage subites et futiles, des rages de grelot enragé, ou de violents chagrins qu’une chanson dissipait.

Tous les trois se regardèrent un moment sans parler, souriants et tranquilles, l’air à la fois heureux, étonné et satisfait, comme s’ils découvraient à l’instant même une nouveauté ravissante et constataient en même temps que tout allait comme à l’accoutumée, que l’éternité continuait, pareille à elle-même.

— Où est le Corbiau ? demanda tout à coup Isabelle.

Lise ouvrit les mains :

— Z’envolé. Y a au moins cinq minutes qu’on l’a pas vu.

— Cinq minutes ! écoute-la ! dit Laurent d’un air amusé et indulgent avec son bizarre sourire de chien de chasse, qui consistait à retrousser la narine en frémissant un peu de la lèvre supérieure. « Y a deux