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LA MAISON DES BORIES

Enfin elle prend la parole :

— Vous êtes bien, à l’auberge de Saint-Jeoire ?

— Très bien, mon Gentil Corbiau.

— Vous n’avez pas envie de vous en aller ?

— Pas la moindre envie. D’abord, il faut que je finisse le travail que j’ai commencé pour votre oncle Amédée.

— Ah ! oui. Il va durer longtemps, ce travail, n’est-ce pas ?

— Pourquoi cette question, ma petite fille ?

— Parce que…

Elle me regarde, de ses grands yeux mystérieux :

— Longtemps, c’est presque la même chose que toujours, n’est-ce pas ?

— Euh… presque…

— Presque, c’est-à-dire pas tout à fait ?

— C’est cela.

— Alors, quand « longtemps » sera fini, vous vous en irez, quand même ?

— Personne ne peut le savoir. Il arrive tant de choses en un jour, n’est-il pas vrai, mon Gentil Corbiau ? Ainsi, aujourd’hui, que va-t-il arriver ? Cherchons un peu, ce qu’il pourrait bien arriver de beau…

Mais plus je m’obstine à la traiter en enfant, plus elle devient grave.

— Oui, dit-elle, aujourd’hui, c’est long, quand c’est aujourd’hui. Mais hier, par exemple, et avant-hier et avant-avant-hier, ce n’était pas si long que ça, puisque c’est fini. Alors, demain, aujourd’hui sera fini et… ah ! zut, je ne sais jamais bien dire ce que je veux, mais vous comprenez, n’est-ce pas ?

J’incline la tête sans pouvoir parler, saisi de retrouver chez cette petite fille l’écho du grand cri de saint Augustin : « Tout ce qui finit est trop court. »

— Carl-Stéphane, demande-t-elle encore, au bout de combien d’aujourd’huis vous vous en irez ?

— Mon petit chat, dis-je, suffoqué d’émotion,