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LA MAISON DES BORIES

Je le lui dis. Elle m’approuve avec chaleur, avec sa conviction de montagne en marche et me parle de l’amour comme une passionnée mystique parlerait de son Dieu. Et tout à coup, retourne la tête vers moi, d’un geste brusque et bref : « Bien entendu, je parle de l’amour absolu, celui d’une mère pour son enfant et d’un enfant pour sa mère. L’autre n’est qu’une rage de dents. »

Elle me fait quelquefois penser à un bastion. Il y a bien des ouvertures, mais ce sont des meurtrières pour les canons.

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Quand nous nous promenons avec les enfants, elle regarde tout, embrasse tout d’un coup d’œil, les petits en avant, moi à ses côtés, un pinson sur un arbre, un épervier dans le ciel, la forme des nuages, la direction du vent, en tire des présages pour le temps qu’il fera demain, cueille des plantes, enseigne des remèdes, admire une fleur, flaire un parfum et nous annonce du chèvrefeuille à dix mètres, pense à mille choses à la fois et cependant poursuit son idée avec la plus douce obstination.

Qu’elle est vivante !

Je lui dis : « Madame, vous pouvez beaucoup parce que vous êtes multiple. Il y a en vous une femme sauvage, qu’il vaut mieux, je crois, ne pas provoquer, une Romaine de l’antiquité, pleine de stoïcisme et d’un terrible bon sens latin, une fée champêtre un petit peu sorcière et une jeune fille tendre. De toutes ces figures de vous-même, laquelle préférez-vous ? »

— Oh ! préférer… dit-elle en riant, avec un petit geste insouciant. Tout ce que je peux faire est de m’accepter. Je ne suis pas toujours pour moi-même une compagnie facile.

— Vous ne vous occupez pas assez de vous-même. Prenez garde, le « moi » qu’on néglige devient rancuneux, plein d’idées méchantes, comme un enfant