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LA MAISON DES BORIES

choir et se tamponna les lèvres en soufflant par les narines.

— Monsieur Kürstedt je suis désolé de vous avoir offert le spectacle de cette petite scène de famille. Au moins, vous connaissez maintenant le joli caractère de mon fils. Voilà le résultat d’une idolâtrie maternelle dont on n’a jamais vu d’exemple depuis que le monde est monde. Maintenant que vous avez vu, vous pourrez peut-être persuader à ma femme qu’elle s’y prend mal. Moi, j’y renonce.

Il jeta un regard de fureur impuissante à Isabelle qui berçait toujours Lise sur ses genoux et ne paraissait même pas le voir. Comme toujours, elle ne disait rien. Elle le retranchait du monde, simplement.

— Bon sang de Dieu ! gronda M. Durras.

Il sortit en faisant claquer la porte et s’éloigna à grands pas sur la route de Saint-Jeoire.

D’interminables minutes passèrent. Carl-Stéphane osa relever la tête et vit qu’Isabelle pleurait. Les larmes coulaient sur son visage comme sur la face d’une statue, sans une contraction, lourdes, pressées, roulant très vite sur la joue et le menton et tombant sur le corsage de linon bleu de lin, qui les buvait.

— Madame ! madame ! balbutia le jeune homme, éperdu.

Elle ne répondit rien. Elle ne bougeait pas, sauf ce bercement machinal. Son regard était fixe et chaque battement de cils précipitait une larme.

Carl-Stéphane tomba à genoux, lui prit la main, colla cette main froide sur sa joue brûlante,

— Madame, il ne faut pas rester ici. Je vous conjure… Il faut quitter cette maison, ce pays, avec les enfants. Dites-moi où je peux vous conduire. Je vous emmènerai où vous voudrez. J’ai assez pour vivre tous. Je vous supplie de partir. Il ne faut pas rester. C’est trop mauvais pour vous, ici. Je vous supplie de ne pas rester.